
Il y a bien plus derrière le mépris des institutions médicales et judiciaires quant à leur silence envers Thierry Paulin. Près de trente-trois ans après sa mort le 16 avril 1989, Paulin, devenu le plus grand tueur en série français du XXème siècle est l’un des seuls criminels à avoir été abandonné dans les bêtises du sensationnalisme médiatique de cette époque des années 80. La France n’a connu que deux tueurs en série afro descendants majeurs que furent Guy Georges et Thierry Paulin. Si les assassins de masse noirs sont très rares en France, il aurait été plus compréhensible que des moyens criminels soient déployés pour tenter de comprendre, d’approfondir le parcours de ces tueurs afro descendants afin de saisir l’improbabilité de leur cheminement. En France, pays où la question raciale est taboue, c’est bien le contraire qui s’est appliqué. Si Georges eut droit à un procès médiatique, Paulin étant mort avant son jugement en 1989, ce dernier fut comme totalement effacé de la mémoire criminelle française de ces dernières années. Il semblerait que, contrairement à Guy Georges pour qui le parcours s’avère bien plus clair pour les institutions judiciaires, Thierry Paulin crée, par sa condition particulière, un malaise dont personne, aussi bien chez les Noirs que chez les Blancs, ne veut aborder.
Les autres tueurs en série blancs tels que Francis Heaulme, Patrice Alègre, ou Michel Fourniret ont eu droit à un traitement psychiatrique et psychologique poussé. Ils furent étudiés, analysés par plusieurs psychiatres. Pourtant, pour Thierry Paulin, c’est uniquement Serge Bornstein qui l’analyse. Au coeur de cette France des années 80, où l’homme noir est invisible et inexistant, Bornstein dresse un portrait improbable et superficiel de Paulin aux explications sorties tout droit d’ouvrages neuropsychiatriques datés. En réalité, toutes les branches forcées d’étudier le dossier se heurtent à un problème. Ils peinent à saisir la profondeur de sa complexité.
A vrai dire, pour ces juges, magistrats, avocats, journalistes et psychiatres, Thierry Paulin est un être inédit. Ces derniers ont devant eux un jeune homme qui surpasse toutes leurs attentes. Comment peut-il être afro descendant tout en tant Métis sans avoir un parent blanc et noir? Il est bisexuel, souffre de dépendance occasionnelle à l’héroïne, s’est travesti en fin d’adolescence et sa personnalité est grandement duelle. Au lieu de reconnaître que Paulin est une énigme pour eux dès lors que le corps noir et l’expérience antillaise leur sont inconnus, Bornstein écrit des théories farfelues, et le corps judiciaire, quant à lui, préfère se murer dans le silence. Sûrement par peur de découvrir que le monstre Paulin aurait pu être le produit direct de sa société de l’époque.
S’il reconnut près de vingt-et-un meurtres au cours de sa folie meurtrière de 1984 à 1987, la police française a assez d’éléments pour contrer ce nombre. Paulin aurait tué près de quarante vieilles dames, et peut-être encore plus. Avec Jean-Thierry Mathurin tout d’abord, puis avec un ou plusieurs complices que Paulin n’a jamais dénoncé, contrairement à Mathurin.
Si des documentaires criminels ont été réalisés sur Paulin, tous feignent de capter de la profondeur complexe de cet individu hors-normes. Cela s’explique pour une raison qui est liée au refus des journalistes et des magistrats de se pencher sur la question raciale. Pour Guy Georges, la question raciale fut superficiellement abordée mais pas pour Paulin présenté au public comme un sanguinaire fou sorti de nulle part. Puisqu’il est Martiniquais, il est Français, et donc, la dynamique familiale et identitaire dont il provient ne peut pas être si différente que celle d’un Blanc métropolitain.
Ce mépris pour l’analyse profonde de Paulin est la conséquence de la politique française. La France est un pays latin qui promeut l’idée du métissage, du vivre-ensemble soit une hypocrisie étatique qui vise à gommer la structure élitiste du racisme systémique qui fonde le pouvoir français. (Nous ne parlons pas ici des Français en tant qu’individus mais du système politique dominant). La France n’est pas la Belgique, la Hollande, l’Allemagne ou l’Angleterre, soit des pays qui ont, au cours de leur histoire coloniale, pratiqué la politique de l’apartheid par le refus du mélange. En effet, l’Européen du nord ne se mélange pas, contrairement aux Latins, Français, Espagnols ou Italiens qui ont bâti leurs structures coloniales sur le mélange. Ainsi, en tant que Martiniquais, Paulin était perçu comme un sujet colonial dont les problèmes historiques, mentaux et sociaux étaient inexistants, l’Antillais devant être, aux yeux du dominant métropolitain, un individu qui vit pour et par la France, un grand enfant du soleil.
En ce sens, les questions de race sont taboues mais surtout niées bien qu’elles soient, pour ces criminels en série noirs, la base, la fondation et la source de leur folie et de leur haine. Dans l’affaire Paulin, un fait marquant saute aux yeux. Pour les journalistes de cette époque, le mépris pour le Noir est tel, son invisibilité est telle qu’on ne lui accorde pas le privilège d’être considéré, regardé comme un être humain à part entière avec ses propres tares. Non, il appartient à l’arrière-plan social et lorsqu’il craque et tue, les médias le présentent comme un monstre sans que les questions sur son identité ne soient évoquées.
Quant à la violence des crimes de Paulin, ceux-ci n’ont jamais été interprétés comme l’aboutissement d’une accumulation brutale d’un rejet social lié au racisme, à la discrimination, à la précarité et à la dévaluation de l’être. Contrairement à ce que Bornstein avance lorsqu’il parle de la mort de Paulin comme d’un châtiment divin, Mathurin et Paulin s’infligent une violence insupportable par le sexe en se marchandant au plus offrant dans une optique de survie. Paulin n’est pas un tueur-né mais le produit des conséquences défaillantes des décisions politiques françaises promues comme un exemple de progrès.
Tout comem Guy Georges, Thierry Paulin représente la première génération de la fracture migratoire de l’histoire post-coloniale française. Plus tard, une autre crise avec la troisième génération arrivera dans les banlieues des années 90. Paulin est le fils d’un père venu par le BUMIDOM, est un immigré, homosexuel et plus tard, malade du SIDA. La France qui promeut le métissage comme force, sa politique coloniale aux Antilles comme signe de progrès, et se présente comme une terre de liberté, s’avère être un cauchemar pour Paulin et les siens. Là, il y trouve la perdition, la solitude, le marchandage, le rejet car Afro descendant métis, ainsi que la misère.
Tout en Paulin est lié à la misère de l’expérience noire en France, à l’hypocrisie sociale de son époque. Il n’est pas un “autre” mais un pur produit des défaillances de la République. Il représente l’échec de la migration antillaise en France par le BUMIDOM et le désenchantement vécu par les enfants de deuxième génération comme lui. L’émergence de la folie de Paulin prend racine dans la cristallisation de la brutalité de la violence historique noire.
Et que dire de la précarité? Paulin tue pour l’argent. Toutefois, aucun journaliste ne saurait expliquer la cause de la pauvreté extrême de Mathurin qui vivait dans des caves avec sa mère à Paris. Pourquoi Paulin manquait-il d’argent et pourquoi s’est-il tourné vers le vol? En effet, contrairement aux mensonges des médias, avant d’assassiner des vieilles dames, Paulin a initié Mathurin au vol dans les métros. Leurs attaques contre les vieilles dames fut la suite d’un aboutissement. Ainsi, nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi la misère brutale vécue par tant d’Antillais dans les années 1970 et 1980 n’est jamais reconnue comme la raison qui pousse des jeunes comme Paulin à possiblement tuer pour survivre?
Les meurtres de 1984 s’inscrivent dans une optique de survie. Mais dès 1985, Paulin sombre dans une psychose, et commence à tuer pour extérioriser sa frustration voyant que sa vie ne va nulle part. Il tue pour trouver un équilibre dans sa morbidité. Là encore, sa folie qui s’accroit n’est jamais bien auscultée, analysée, étudiée mais ignorée et superficiellement mentionnée.
On dit de Paulin qu’il fut paresseux, mais en réalité cette paresse n’en fut pas vraiment une mais plutôt l’expression de la perdition d’un jeune homme qui ne retrouve pas sa place dans une société blanche française qui le rejette et non construite pour lui. Paulin comprend, par son père et par les siens, que le seul destin qui leur est destiné en tant qu’Antillais est l’exploitation physique, soit la continuité du BUMIDOM, une nouvelle forme d’esclavagisme. Cette envie de découvrir un ailleurs et d’être reconnu l’obsède et l’attire vers le monde du show business où il devient très vite connu dans le monde gay et héréro parisien.
Paulin fut traité dans le cadre de la mise en place d’un freak show bien qu’il ait démontré combien la folie de l’histoire noire a su contribuer à sa déchéance mentale qui le mène au crime. Tout fut donc fait pour que les institutions aient le dernier mot sur Paulin. Il doit, même trente-trois ans après sa mort, demeurer ce tueur homosexuel, toxicomane complexe car cette explication rassurante permet aux magistrats, aux journalistes et aux psychiatres de ne pas voir la réalité en face: Paulin est le produit de tout ce que la France a raté.
Et que dire du rejet et du silence des Antillais eux-mêmes? Comment expliquer un tel tabou et une telle soumission de la part de ces derniers quant aux ignominies avancées contre Mathurin et Paulin? Personne, pas même un intellectuel antillais de l’époque ne s’est levé pour dénoncer le traitement médiatique voyeuriste du cas Paulin à l’encontre des deux tueurs. Comme trahis par leur communauté dont les membres ont parfaitement conscience des causes sociales, historiques et spirituelles qui ont pu pousser deux jeunes Antillais à commettre l’irréparable, il semblerait que l’individualisme et que l’image de soumission face aux entités dominantes françaises fut la priorité. L’oubli de la tragédie de la vie de Paulin est aussi liée à la trahison et l’abandon des siens qui n’ont jamais voulu se lever pour expliquer la dureté de leur expérience. Paulin avait commis l’irréparable en s’attaquant à de vieilles dames blanches, il a donc mérité ce racisme et cette homophobie. Là où les paroles auraient pu se délier pour construire, comprendre, unir afin d’avancer de réparer, Mathurin et Paulin se sont retrouvés encore plus seuls.
Pourtant, les mêmes journalistes acceptent les éloges sur certains criminels mais pas sur d’autres. Florence Rey qui assassina aux côtés de son compagnon des policiers et un chauffeur de taxi père de cinq enfants franco-guinéen, est à présent louée par les artistes, y compris Booba, et considérée comme une icône punk et nihiliste qui représente le désenchantement d’une génération des années 90. Toutefois, dix ans avant elle, Thierry Paulin par sa folie meurtrière avait aussi craqué et fait part de ce même désenchantement. Mais cette réalité fut réduite à sa sexualité, à la monstruosité de ses actes, surtout lorsque les dominants ont tenté de le comprendre en fuyant la question noire.
Thierry Paulin a commis l’irréparable mais rien en dix-huit ans n’a a été fait par ses parents pour l’écouter et lui donner de la considération. Il est à présent temps, en tant que communauté, de nous pencher sur les travers des nôtres, car bien qu’ayant commis des actes atroces, leur folie qui fut extériorisée de la pire manière, est aussi la nôtre. La santé mentale des Afro descendants dans le prisme de l’histoire qui broie et détruit doit être prise au sérieux, étudiée, analysée et entendue.
Si le silence envers Paulin demeure, comment expliquer qu’en l’espace de 72 ans, Frantz Fanon, un Martiniquais, soit le seul intellectuel et médecin antillais à avoir écrit sur la psychiatrie noire? Ce silence post-Fanon sur la question psychiatrique rejoint le silence post-Paulin. Quelqu’un, quelque part a peur ou préfère regarder ailleurs, vers l’amusement, pour ne plus voir ce qui nous dépasse.
Par Victoria “VKY” Kabeya. All Rights Reserved