
L’annonce fit le tour des réseaux sociaux. Alors que son pays et que son peuple français s’enfoncent davantage dans la paupérisation, la crise sociale et la tourmente, Emmanuel Macron, après s’être rendu au ski, rempli son calendrier par des voyages en Afrique. Il y a quelques mois encore, le président français avait effectué un voyage au Cameroun afin d’y rencontrer Yannick Noah. Cette fois-ci, Macron a entamé une tournée dans des nations africaines à majorité francophone. Avant son arrivée à Kinshasa, Macron s’est entretenu avec le chanteur congolais (République démocratique du Congo) Fally Ipupa. Ce dernier a réitéré son soutien à Macron en l’accueillant à Kinshasa, où les deux hommes se sont établis un instant à Bandal, quartier populaire de la capitale kinoise. Si leur rencontre peut s’avérer anodine, soit celle d’un président qui congratule et rencontre un ami musicien populaire qui pourrait représenter un pont culturel entre le monde africain francophone et la France, il n’en est rien de tout cela. Ce meeting était non seulement calculé, mais politique et assumé.
La tournée de Macron en Afrique n’est pas le fait d’une solidarité ou d’un quelconque amour pour les Africains, mais celui d’une tentative politique du pouvoir français de contrer l’influence russe dans les pays africains. En effet, par colonialisme institutionnel, le gouvernement français, pourtant présent dans les pays d’Afrique francophone depuis plus d’un siècle n’a jamais su faire avancer ou changer les choses dans ces nations africaines, le seul objectif étant de piller afin d’affirmer leurs avantages économiques. En raison de leur mépris profond pour ces Africains francophones, jamais Macron n’aurait pu penser que les populations burkinabé et malienne pouvaient se soulever contre l’empire français, menant jusqu’à chasser les derniers militaires présents jusqu’au Sahel, pilleurs de ressources naturelles. Macron n’aurait jamais pu imaginer que la guerre euro-américaine en Ukraine allait changer l’équilibre de l’échiquier mondial international. Là où 1492 eut placé l’Occident au centre du monde, avec l’émergence de la Russie et de la Chine, c’est le sud dans sa globalité qui retrouve sa voix.
A dire vrai, le sud dans sa globalité fut tant réduit à un statut d’infériorité politique, racial qu’entendre des voix se soulever contre des régimes européens semble être une surprise pour les autorités occidentales.
Le président français effectue une tournée en Afrique afin de tenter de non seulement rassurer les populations de la fin d’une supposée Françafrique et de manipuler ces mêmes populations en s’adressant à eux avec une forme respectueuse qui n’est rien d’autre qu’une infantilisation constante du Négro-Africain qui ne vaut rien face à un président occidental blanc. Le but de Macron n’est pas de préserver des contacts amicaux avec l’Afrique francophone qu’il méprise, mais de protéger les intérêts financiers de la France qui s’enfonce dans le chaos social, économique et financier depuis bientôt une décade. Macron souhaite contrer la Russie et cette alliance entre pays africains délaissés et le nouveau pouvoir du Kremlin.
Afin de servir sa propagande politique néo-coloniale, le président français s’appuie sur des influenceurs et musiciens qui serviraient de pont culturel entre l’Afrique et le monde francophone. Ces derniers doivent être cools, sympathiques et influencer la jeunesse de la diaspora qui doit être programmée pour considérer ces rencontres politiques comme positives. Et c’est par ce biais que la trahison de Fally Ipupa entre en jeu.
Il y a quelques années, en 2019, les militants combattants congolais issus de la diaspora congolaise de Paris ont souhaité bloquer le concert de l’artiste dans la capitale française. Ces militants ont attaqué les spectateurs, lancé des projectiles, menant à l’arrestation de certains d’entre eux. Le concert eut lieu malgré tout, mais une question demeura. Jusqu’à quel degré les musiciens congolais doivent-ils s’exprimer ou s’impliquer dans la politique? Les détracteurs de Fally l’ont qualifié de traître et de complice du régime, quand d’autres l’ont défendu, arguant que les musiciens ne peuvent pas être des représentants politiques, car étant musiciens. A dire vrai, si les deux arguments d’opposition sont recevables, la situation politique de la République démocratique du Congo ne peut pas laisser ces figures publiques indifférentes.
Lors du début du conflit russo-ukrainien, plusieurs artistes russes pourtant actifs en Occident ont refusé de blâmer la politique de leur président, préférant rentrer vivre en Russie par solidarité pour leur peuple et président. De la même manière, Frédéric Taddeï, journaliste français actif sur la chaîne russe RT France, décida de manière compréhensible de quitter son poste sur la chaîne par solidarité envers son pays la France au moment où l’opération spéciale russe débuta en Ukraine. Dans le cadre de la guerre, qu’il s’agisse d’artistes ou de journalistes, les Européens, aussi bien occidentaux que de l’Est, prennent position de manière claire et ne jouent pas la carte de l’ambiguïté, contrairement aux africains francophones.
La guerre au Congo démocratique n’est pas le fait du hasard, mais la conséquence grave et criminelle d’une déstabilisation politique qui prend racine dès la fin des années 1950. Ces troubles se sont suivis de massacres, de violence, de déplacements de populations, de traumatismes psychiques étalés sur plusieurs générations, aussi bien à l’Est du Congo, qu’au Burundi, Rwanda et Ouganda par le biais de groupes rebelles locaux, certes, mais surtout par l’appui des puissances étrangères aussi bien canadienne, américaine, anglaise, belge, israélienne, allemande, française qu’italienne. La guerre du Congo qui débuta en 1996 et qui continue aujourd’hui est le fruit d’un complot international visant à utiliser Paul Kagame, impliqué dans le génocide rwandais de 1994, comme pion politique afin de piller les ressources naturelles de l’Est du Congo. Depuis la fin de l’indépendance congolaise, les mines congolaises, l’or, les diamants, et surtout le coltan congolais furent pillés par les plus grandes multinationales occidentales. C’est par le coltan congolais que la Silicon Valley parvient à aller toujours plus loin dans le développement technologique. Cette guerre à l’Est est non seulement sanglante et barbare, mais soutenue dans le mal par des occidentaux colonialistes assoiffés de sang, méprisants du corps africain, du Négro-africain perçu comme un sous-être.

Pourtant, Fally Ipupa d’origine et de citoyenneté congolaise est non seulement au courant de cette réalité sordide, mais ce dernier n’hésite pas à serrer la main, à accueillir, à collaborer avec Emmanuel Macron, soutien du M23, milice criminelle qui sévit à l’Est et soutenue par le pouvoir de Kigali, mais aussi à collaborer avec Paul Kagame en grande partie responsable de la violence de l’Est, tout en se dissimulant sous l’étiquette du musicien. Si Youssou Ndour fut aussi président à cette réunion, le chanteur sénégalais n’est pas lié à l’Afrique centrale et ne connait rien de la réalité de la région des Grands Lacs contrairement à Fally Ipupa qui fut au courant des événements de l’Est.
En choisissant Ipupa comme intermédiaire, Macron ne fait qu’accentuer le mépris institutionnel qu’il porte à la diaspora congolaise vivant en France. Cette dernière, nous le savons, ne peut pas être comparée à celle de Belgique, bien plus ancienne, variée, réussie, évoluée. La diaspora franco-congolaise brille par sa grande pauvreté politique, sociale et contribue grandement à nourrir la mauvaise image du Congolais à l’étranger par des stéréotypes improbables et une culture congolaise qui n’est qu’une construction venue des quartiers les plus misérables de Kinshasa exportés par des immigrés à Paris. Cette culture ne peut pas être comparée à celle des provinces de la République démocratique du Congo, variées, profondes, inscrites dans la véritable tradition. Emmanuel Macron aurait pu avoir choisi de rencontrer des historiens franco-congolais, mais ces derniers, bien trop intellectuels et penseurs, n’auraient pas pu influencer les jeunes congolais de France adeptes du divertissement. Ce même mécanisme de mépris à l’égard du Noir existe également aux Etats-Unis dès lors que les Démocrates choisissent d’interviewer Cardi B, Beyoncé, Jay-Z, de s’appuyer sur leur soutien afin de s’assurer une popularité auprès des jeunes minoritaires. Les intellectuels afro-américains ne sont plus que très rarement conviés car potentiellement susceptibles d’éveiller certaines consciences.
En s’associant à Emmanuel Macron, Fally Ipupa a non seulement trahi la mémoire de millions de Congolais de l’Est assassinés depuis la fin des années 1950, mais il a surtout prouvé que son camp fut choisi. Dans ce désespoir congolais, le chanteur a choisi l’Occident et sa politique néo-coloniale. Ses rencontres politiques sont donc claires.
Par Victoria “VKY” Kabeya. Tous Droits Réservés, 2023 ©
[1] Cohen, Roger, “Facing a Backlash in Africa, France Promises ‘Modesty and Listening’ “, The New York Times, March 3rd, 2023, https://www.nytimes.com/2023/03/02/world/africa/france-macron-africa.html
[2] Melly, Paul “Emmanuel Macron’s mission to counter Russia in Africa”, BBC, March 4th, 2023, https://www.bbc.co.uk/news/world-africa-64822485
[3] Mena Times Jordan Times,”Macron Says Era Of French Interference In Africa Is ‘Over’”, MENAFN, March 5th, 2023 “https://menafn.com/1105706245/Macron-Says-Era-Of-French-Interference-In-Africa-Is-Over
[4] Munyao, Mercy, “Why Fally Ipupa’s house in Congo was burned down”, KISSFM, March 1st, 2023 https://kiss100.co.ke/exclusives/2023-03-01-why-fally-ipupas-house-in-congo-was-burned-down/
[5] Pineau, Elizabeth, “Macron ends Africa tour with wish for fair reset of ties”, Reuters, March 4th, 2023, https://www.reuters.com/world/africa/macron-pledges-36-million-new-eu-aid-plan-eastern-congo-2023-03-04/
[6] Schofield, Hugh, “France calls time on anti-jihadist Operation Barkhane in Sahel”, BBC, November 2022, https://www.bbc.com/news/world-europe-63575602
[7] Erforth, Benedikt, Tull, Denis M, “The failure of French Sahel policy: an opportunity for European cooperation?”, SWP, May 2022,https://www.swp-berlin.org/publikation/mta-spotlight-13-the-failure-of-french-sahel-policy